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Texte critique pour l’exposition Récolte à la Cartine et en résonance avec le festival du PAC par Alexia Abed.
« Laurane Fahrni Gourdon examine ce qui se dérobe à la vue dans nos environnements urbains : la symbiose des flores de friche et des débris architecturaux. Pour questionner le devenir de ces ruines conjuguées au présent, ses sculptures miment les nouveaux comportements d’une nature qui s’adapte à des flancs inhospitaliers, des paroies infertiles. Son travail, s’il évoque un paysage qui aurait subi quelques catastrophes, déniche surtout des tensions entre l’expansion et le figé, la présence et l’absence.
En mimant l’artificialité de la nature, Laurane mobilise des techniques de camouflage et de trompe-l’œil. Une contamination croisée entre des matériaux organiques et industriels, naturels et toxiques, confère à ses sculptures une apparence à l’opposé de leurs réelles propriétés physiques. Des fragments de câbles, tuyaux et autres conduits distribuant les fluides, sont associés à des bris de béton et de verre. Recomposés et détournés de leur usage initial, ils deviennent des écrins fertiles aux plantes rudérales. Sur les murs, ces petites capsules craquelées et abîmées renferment des microbiomes dotés de leurs propres temporalités. À travers ses sculptures composées comme des dessins superposés, Laurane témoigne de sa sensibilité aux endroits qu’elle traverse. Les jeux graphiques en trois dimensions imitent les capacités de croissance et de prolifération des lianes, des racines et du lichen. Leur subsistance prend alors la forme d’une résilience qui, par sa multitude, perturbe le régime ordonné des villes et des espaces d’exposition. »
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« Quand je rencontre une oeuvre de Laurane Fahrni c’est la puissance qui me saisit en premier. C’est le geste d’une anthropologiste du patrimoine oublié, d’une architecte du reste. Avec force et une forme d’économie du geste, elle introspecte des formes et se joue du hasard, celui qui abandonne ça et là l’empreinte de l’humain.
Son travail relève de la mise en scène des accidents de la matière, de la sublimation des invisibles, de l’élévation des laissés pour compte.
Ce reformatage puissant d’éléments en déroute, déposés dans la nature par l’activité humaine, par la volonté d’événements incontrôlés et divers, c’est son oeil qui nous l’offre.
Son oeil est une tête chercheuse, l’instrument principal de son aventure personnelle. Son regard sur la matière en déshérence change le nôtre parce que son écriture d’ar- tiste est celle d’une architecte.
Découvreuse de dimensions, son oeuvre naissante nous interroge déjà, au fur et à mesure, sur le mouvement que le XXI eme siècle imprime secrètement au paysage urbain. »
Valerie Leydet
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Comme si , dans la ville, la lumière paraît avoir définitivement vaincu la part qui revenait à l’ombre. Laurane semble voir l’invisible et le commun. Elle en extrait l’essentiel, joue avec la matière, l’apprivoise, tout en lui laissant sa liberté et préservant son identité. Cette exploration des limites ne s’arrête jamais.
On rencontre une sorte de malaise et d’étonnement en apercevant ses pièces pour la première fois. Une sorte de doute, aussi de scepticisme. Cela vient de son regard, qui arrive à marier, conjuguer, dialoguer entre anoblissement du banal et poésie. Ses objets spécifiques dont les formes varient du plus simple au plus excentrique, prennent des attitudes aussi diverses que celles trouvées dans ses dessins. Elles nous offrent des possibilités infinies, de transgresser les habitudes visuelles et tactiles. Une sorte de rejet des conceptions en adoptant romanesque et sublime.
« Il faut observer longtemps, s’en imprégner, oublier peut être les strates culturelles qui se sont accumulées dans nos mémoires et viennent parfois placer entre eux et nous un écran de savoir dommageable à l’émergence de notre sensibilité – une culture asphyxiante disait Jean Dubuffet »
Gilles Traquini , 2020


Récoltes à la Cantine
Mai 2023